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Le blog de lamoire Blog culturel, littéraire, d'actualité (littérature; spectacles), et de création.

Enquête dans la rue Pouletard

«- Et vous voudriez me faire croire qu’un truand pareil s’en est sorti à si bon compte ?

- Vous auriez tort de ne pas prêter plus d’attention au récit que je viens de vous en faire. Croyez-moi, des génies de son espèce sont au sommet quand d’autres plus méritoires peut-être ne savent pas mesurer quelles opportunités il est temps qu’ils saisissent.

- Vous parlez de génie et je m’en vais vous répondre qu’une telle chance ne sourit qu’aux imbéciles…

- Félicitons-nous de n’en avoir point ! » 




            L’histoire que je vais vous raconter est véridique. Elle m’a été contée par un pigiste qui travaillait il y a de cela quelques mois à la Gazette de Breuilhs. C'est au cours d’un stage en communication que j’eus l’occasion de le rencontrer ; mon rôle en tant qu’attaché au maire m’a souvent conduit à animer des formations en matière de communication. C'est donc lors d’une de ces formations qui devait avoir lieu au centre de la Gazette en question que je fis la connaissance d’un jeune homme que je nommerai L. pour ne pas lui causer d’ennuis. Si les pigistes ont souvent pour unique fonction de recopier et de mettre au propre des articles avant qu’ils ne soient imprimés, certains d’entre eux ont le désir de voir plus grand. Et il arrive même que parmi ceux-là quelques uns y arrivent.

            N’est-il pas merveilleux de saisir dans une altercation ordinaire, dans un banal vol à la dérobée, ce qui saura faire d’un simple fait une véritable histoire. Et pour remuer un débat poussiéreux n’est-il rien de plus vrai que le petit fait insolite auquel on croit et qui alimente notre imagination avide de cruauté.

            Selon mes sources, que je ne peux révéler par craintes de poursuites judiciaires, les faits se seraient déroulés entre des voisins du quartier du Pouletard qui a abrité à son époque florissante des malfrats comme on en décrit dans les récits policiers. Il faut revenir à cette époque qui n’est pas si reculée d’ailleurs pour prendre toute la mesure de ces événements que je vais rapporter fidèlement. En effet, deux décennies se sont écoulées au cours desquelles chacun dans le quartier a feint d’ignorer les événements tragiques qui avaient bouleversé la vie de tous dans le périmètre. J’ai moi-même vérifié la véracité des faits ; si je donne cette précision c'est que j’imagine, lecteurs, vos faces incrédules à la lecture des lignes qui vont suivre. A Pouletard, il se produisit des faits étranges, des faits tels qu’on les lirait dans un récit de fiction. Certains réalisateurs aujourd’hui se complaisent à inventer des histoires qui en comparaison de la réalité semblent finalement assez fades quoique notre soif de frissonner y fassent un terrible écho.

            A cette époque, disais-je, je vous parle alors des années 1970, il y eut un épouvantable, un formidable fléau qui s’abattit sur tout le quartier. C'était au milieu de l’été et les habitants supportaient avec difficulté la chaleur harassante qui les accablaient un peu plus chaque jour. Chacun restait chez soi, tapi dans l’ombre salvatrice des intérieurs humides tels qu’on en dénombrait des centaines dans le quartier. Les hommes, les femmes, les enfants semblaient avoir déserté la ville (quand je dis la ville je parle du quartier qui nous intéresse). Jusqu’ici rien de très troublant d’autant plus que nous sommes tous les ans confrontés à des montées de températures infernales dans nos mégalopoles. Cependant, les rues étaient si désertes que quiconque s’y fût promené aurait immédiatement pensé à une ville fantôme. Vers la fin de l’été, et c'est là que le quartier fut exposé aux affres de l’inconnu, l’atmosphère se radoucit et on constata que la ville était bien habitée mais qu’au recensement il manquait de très nombreuses personnes. Des enfants avaient disparu sans crier gare ; des femmes elles-mêmes paraissaient avoir littéralement fui le quartier. Ces disparitions firent l’effet d’une explosion au sein même des familles. Le quartier était métamorphosé, comme squelettique, exsangue de son sang neuf. Il parut encore plus particulier d’observer l’absence de certains grands noms chez les criminels qui, jusqu’à ces derniers jours d’été, avaient tenu bon contre la chaleur, et qu’on pouvait apercevoir, même fugacement au croisement des rues Misare et Pephte.

            Les gens semblaient devenir fous et se regardaient avec plus de méfiance que jamais. L’on pensait que les malfrats y étaient pour quelque chose. Pourtant, le petit Fresnes lui aussi il avait été emporté. Le quartier tout entier préféra croire alors à une punition divine vouée à corriger le quartier des mauvaises mœurs de certains de ses habitants.

            Depuis ces événements néfastes, la plupart des habitants du quartier ont préféré quitté les lieux ; familles orphelines ; familles déchiquetées, démantibulées. Quelques unes d’entre elles sont restées. Non pas par courage, non pas par résignation. Mais par habitude ou par mécréance pourrait-on dire, en ce qui concerne les superstitions qui dévastaient, ravageaient les esprits les plus faibles. L’on s’inventait des rituels pour conjurer désormais le mauvais sort, à coup de tape sur les épaules comme pour se rassurer de sa propre réalité ; on vit même un homme retirer sa chemise et frotter son dos contre un mur comme un ours marquant son territoire. A ces superstitions, néanmoins, il existait des hommes imperméables ; des résistants. Ceux-là restèrent uniquement.

            Le quartier, bien que déserté, fut bientôt réinvesti au début des années 1990 qu’on connaît pour son essor immobilier. Des gens qui n’avaient jamais entendu parler du lourd passé qui pesait sur le quartier Pouletard. D’autres qui y allaient par défi ; d’autres enfin par résignation. Des commerces permettaient par chance au quartier de vivoter. Un bureau de tabac, une boulangerie, une boucherie, une épicerie, une quincaillerie.

            Si je me suis un peu attardé sur ce point mes lecteurs ne m’en voudront pas et sauront apprécier plus tard que je l’aie fait. Dans ce quartier qui reprenait peu à peu vie, l’on pouvait rencontrer toutes classes sociales confondues, des gens très sympathiques comme la boulangère qui donnait souvent des bonbons aux enfants qui accompagnaient leurs parents, et qui laissait même son chien dans la rue pour occuper les badauds. Il y avait aussi ce boucher, qui demandait des nouvelles de ses clients qui avaient déserté le quartier et qu’Ulysse lui donnait avec plaisir chaque qu’il venait chercher son poulet rôti et ses côtes d’agneau. Il y avait en effet, Ulysse, un jeune homme affable, au chômage, bien sur lui, et en toutes circonstances prêt à aider son prochain. Ce fut le cas de nombreuses fois et je ne donnerai pour exemple que la fois où il prêta main forte à sa voisine qui tenait un bureau de tabac et qui un jour reçut le stock de cigarettes un quart d’heure avant d’apprendre le décès de sa pauvre mère. Ulysse qui était venu acheter ses cigarettes mentholées assista à l’effondrement littéral de cette femme et se proposa aussitôt de l’aider et tenir le commerce tout le temps qu’elle en aurait besoin. Et bien croyez-moi il dut tenir son engagement pendant bien cinq jours. Aujourd’hui rencontrons-nous si souvent des gens propres à secourir leurs voisins comme l’a fait ce jeune homme ?

            C'est parce qu’il était si serviable avec tous qu’Ulysse était si bien au courant des moindres faits de la vie de chacun. La voisine lui avait en effet souvent confié combien sa mère était malade du diabète et s’inquiétait des démarches à suivre le jour où celle-ci la quitterait. Elle lui avait également révélé, à demi-mot, que sa vie amoureuse était désespérante. N’avait-elle pas le droit elle aussi à un peu de bonheur quand son mari l’avait échangée pour une autre plus jeune. Et quelle perspective d’avenir s’ouvrirait un jour à une femme ayant passé la quarantaine, avec un enfant à charge, ainsi qu’un chien dont les poils râpés semblaient représenter l’étiolement de sa vie au bureau de tabac. Quels clichés nous vivons chaque jour.  

            Pourtant le boucher l’avait immédiatement remarquée. Il n’avait pas d’enfants et n’en désirait pas ; du moins il ne souhaitait pas s’éterniser à travers la procréation. Cette femme avec son opulente poitrine bien qu’affaissée et ses hanches larges l’avait tout de suite attiré. Il aimait en elle, sans le penser consciemment, ce qui faisait d’elle une bonne mère, physiquement du mons. Il aimait aussi la voir de dos, le soir lorsqu’elle quittait son travail et qu’elle sortait se promener avec son chien. Ses jambes un peu fortes offraient au regard des formes généreuses qu’il aspirait à contenir dans ses mains. Il aimait ses petits pas que le chien reproduisait fidèlement. Il avait toujours eu une propension à s’absorber dans les mouvements répétitifs. C'est pour cette raison qu’il avait choisi la profession de boucher il y a trente ans. Bien sûr la chair exerça continuellement sur lui une attraction quasi viscérale ; mais, boucher consistait à reproduire le métier de son père qu’il avait tant observé dans sa jeunesse et consisterait sans doute en des gestes précis qui se ressembleraient jour après jour. Ce serait comme un rituel avant le carnage. Ces pas réguliers, devant lui, l’envoûtaient. Il avait depuis longtemps décidé de ranger son étal de bonne heure pour suivre discrètement cette femme qui ignorait son penchant jusqu’à peu où il s’était présenté chez elle avec des tripes et des rumstecks empaquetés en guise de cadeau pour une première approche. Elle l’avait presque éconduit sans l’écouter ; elle n’avait d’ailleurs pas ouvert le paquet. Il venait l’inviter à se promener le soir même. Ils se promenèrent ; sa force de persuasion l’avait séduite tout comme son air animal quand il la regardait. Mais rien de ce qu’il avait lui offrir ne lui paraissait sérieux.

            Dans ce quartier il y avait également un jeune couple avec leur enfant qui s’était installé il y a deux ans à côté d’un couple d’amis. Ils avaient emménagé dans un ancien entrepôt rénové. Des esprits neufs avaient fait de cet entrepôt deux beaux appartements dans lesquels les deux couples s’épanouissaient depuis. Renée, la jeune mère donnait des cours par correspondance ; son mari plein d’ambition n’aboutissait jamais à rien. Il avait bien essayé de se présenter auprès du patron d’une épicerie qui avait ces derniers mois un grand succès dans les confins du quartier. Il avait essayé en vain. Renée avait eu du mal à se résoudre à cette solution mais il fallait tout de même rembourser le prêt à la banque. Elle qui n’aspirait qu’à une seule chose, l’entretien de leur nouvelle maison, dut cependant abandonner ce doux rêve pour chercher un emploi qui leur permette de subsister. Leur voisin, était d’un caractère un peu bourru et Gérard, son mari, souhaitait consolider leurs liens d’amitié, elle-même s’y répugnait tant elle exécrait sa rudesse. D’ailleurs, elle abhorrait toute forme de rudesse. Celle de ses mains qui s’étaient abîmées en lessivant ; celle de ses hanches qu’elle avait bien du mal à faire entrer dans ses jupes devenues moulantes après l’accouchement ; celle de ses rapports aux autres, et qui les faisait fuir quand elle espérait au contraire les voir rester plus longtemps lorsqu’il y avait du monde à la maison. Enfin, celle de son voisin, à qui elle vouait une haine sans bornes et d’autant plus forte que Gérard l’admirait pour sa force de caractère comme il disait.

         A ces principaux acteurs, d’autres non moins importants se sont greffés au fur et à mesure que l’affaire avançait, frôlant les ombres voire les ténèbres de la raison. On peut compter parmi eux les policiers qui ont eu maille à retordre avec cette intrigue, des témoins que je ne citerai pas pour les mêmes raisons expliquées plus haut.




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