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Le blog de lamoire Blog culturel, littéraire, d'actualité (littérature; spectacles), et de création.

Naguib Mahfouz - Akhénaton le renégat

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            Situons d’abord ce livre historiquement : on y découvre les bouleversements religieux et politiques qui survinrent sous  Aménophis IV, célèbre pharaon  du XIVème siècle avant J.-C., et mieux connu sous le nom qu'il prit peu après son intronisation : Akhénaton, littéralement le "serviteur du disque solaire". Ce pharaon introduisit l'idée du monothéisme en ces temps où le culte de nombreux dieux assurait la cohérence du pays, par les intérêts qu'avaient les pharaons à voir rassemblés des peuples différents, qu'avait le clergé à se voir attribuer un rôle prédominant dans les rouages de la politique. Son Dieu, Aton (d’où le nom que le pharaon emprunta), créa une rupture avec l'ordre religieux installé  car il était unique et s'offrait comme la nature s'offre à nos yeux, c'est-à-dire de manière immédiate sans passer par le truchement de quelque statue ou quelque prêtre que ce soit. Ce fut un renouveau religieux mais aussi artistique : le pharaon instaura un mode de représentation passant par l’expression de la laideur comme manière d’être au plus proche de la réalité.


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          Sous Akénaton les intérêts politiques pâtirent : la cohésion du pays fut fragilisée et l'empire se réduisit jusqu'à l'avènement de Toutankhamon au pouvoir, (en référence à Amon, divinité jusque là vénérée), le frère d'Akhénaton.
 


            Le livre se présente comme une enquête que le narrateur, Méri Moun, mène pour comprendre comment  Akhétaton (attention au [-t-]), la ville  créée de toutes pièces  par le pharaon et vouée au culte  d'Aton,  a pu être réduite aux ruines qu'il découvre lors d'une  promenade avec son père. Il s’agit de l'actuelle Tell el-Armana, en Moyenne-Égypte

            Son enquête est facilitée par une lettre de  recommandation que son père, un notable, lui écrit ; il peut ainsi interroger les témoins encore vivants du déclin de  l'Egypte : un prêtre, le précepteur, l'épouse, la belle-mère, l'ami et officier de la garde royale, le sculpteur... Chaque partie ouvre sur un point de vue nouveau : chaque personnage interrogé fait le récit des événements selon son point de vue, ses intérêts propres. De fait,  l'intrigue progresse  en fonction des informations apportées par chacun d'eux et  s'enrichit, devient équivoque.  Les avis des personnages divergent : c’est  au lecteur de tirer ses propres conclusions  sur les  causes, les responsables du déclin. Et l’on pense à la fin de la pièce de Pirandello, Chacun sa vérité quand Madame Ponza, l’allégorie de la vérité prend la parole en ces termes : « Pour moi, je suis celle que l’on me croit ! ».

  

 

 
            On suit, selon une structure identique dans chaque partie, l’enfance d’Aménophis IV, l’inquiétude du clergé d’Amon quand les penchants du pharaon pour Aton émergent, le mariage avec Néfertiti, le départ d’Akhénaton pour la province où il partage sa foi avec le peuple, la mort de son père et son intronisation, la construction d’Akhétaton et le départ pour cette ville, l’imposition du culte d’Aton, l’abandon progressif de la politique extérieure, les vaines tentatives de sa mère Tiÿ pour le remettre dans le droit chemin, la dépravation du peuple et la colère des politiques, l’abandon par les siens, y compris de Néferiti exilée dans un palais d’Akhétaton, la mort d’Akhénaton peu de temps après, quand son frère est hissé sur le trône. L’intrigue sur ce point est assez dense compte tenu de la brièveté de l’ouvrage.

 
 

             L’intrigue au fil des événements va mettre progressivement en relief deux personnages : Akhénaton et Néfertiti. Les différents récits des personnages auxquels le narrateur va rendre visite, tâchent de répondre aux questions suivantes :

 

-         Akhénaton, était-il fou ou bien sage ? Chez certains, il passe pour un fou car il est paraît inconscient de la réalité qui l’entoure, réalité politique quand il est pharaon notamment. Il prêche le pardon et l’indulgence ce qui serait à l’origine de la débauche que son peuple a connue. De plus son culte pour Aton est interprété comme un signe évident d’hérésie, d'où le titre de l'oeuvre. Le "renégat" est celui qui a renié sa religion. Chez d’autres, Akhénaton est présenté comme un être très conscient de la réalité concrète et juste envers son prochain, aux dépens parfois de son rôle de pharaon.

-         Akhénaton était-il vil ou noble ? On le caractérise parfois comme on le ferait d’une femme ; il serait impuissant et aurait même entretenu des rapports incestueux avec sa mère. Toutefois, il est aussi qualifié d’être fort, courageux, prêt au sacrifice de ses intérêts au profit de ses idéaux.

-         Néfertiti était-elle une épouse fidèle ou une conspiratrice ? Si l’on insiste tantôt sur son avidité face au pouvoir, sur ses manigances et son art, voire ses artifices quand elle dit croire elle aussi en Aton, on n’oublie pas de mettre également en opposition le partage de son amour, de sa foi et de ses idéaux, lui donnant ainsi l’alibi de la sincérité.



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    Tout au long du récit des question restent en suspens : Comment Akhénaton est-il mort ? Assassiné ? De désillusion ? Pourquoi Néfertiti l’a-t-elle abandonné au pire moment, quand ses proches l’ont eux-mêmes trahi ? Pour rallier la cause d’Amon in extremis ? Pour ne pas assister à la ruine de sa foi et de son mariage ? Pour protéger son époux ? De cette manière, l’intérêt du lecteur est capté. Quelle est la responsabilité d’Aÿ dans les événements qui sont racontés ? Est-il à l’origine de sa foi en Aton ? Dans quel but ? Celui d’opposer et d’isoler finalement le pharaon pour gagner le trône ? A-t-il été lui-même convaincu par le discours du pharaon ? La rencontre entre Akhénaton et Néfertiti est-elle un signe du destin ? A-t-elle été orchestrée par son père Aÿ ? Quelle est la responsabilité de Tiÿ ? La foi d’Akhénaton n’aurait-elle pas pu être endiguée avec une éducation plus ferme ?

 

 
      Ce roman est intéressant par sa structure en récits enchâssés où divers personnages prennent la parole et font ainsi progresser l’intrigue. Il est néanmoins regrettable que le style ne mettent pas une manière propre aux personnages de s’exprimer. Seuls des modalisateurs (moyens par lesquels on exprime son point de vue, son jugement) distinguent les personnages les uns des autres :

 

      Certains comme le prêtre d’Amon, Tadoukhépa (reine dans l’enceinte du harem du pharaon), Mout Nedjémet (demi-sœur de Néfertiti), May (général de l’armée frontalière) insistent avec mépris sur la laideur, la féminité et l’impuissance (sexuelle et politique) du pharaon. Il rappelle sur ce point les descriptions qui sont faites de Lorenzaccio dans le drame éponyme d'A. de Musset. D’autres disent de lui qu’il était faible, influençable et paradoxalement manipulateur ; c'est le cas de Nakht (le vizir d’Akhénaton), d’Horemheb (son ami et chef  de la garde royale). A l’opposé certains développent un vocabulaire mélioratif pour exprimer la sincérité et la bonté d’Akhénaton comme c'est le cas d’Aÿ (son précepteur), de Bek (l’architecte d’Akhétaton), de Mérirê (le prêtre d’Aton dans la nouvelle ville), de Mahou (chef de la police sous Akhénaton) et de Bantou (médecin personnel du pharaon).

 

      De même pour Néfertiti, certains voient en elle une manipulatrice et une épouse infidèle : Tadoukhépa (rivale de la reine), Mout Nedjémet (demi-sœur jalouse du destin de Néfertiti et des attraits qu’on a pu lui trouver). D’autres encore voient en elle un stratège qui n’aurait reculé devant aucune bassesse pour assouvir sa soif de pouvoir comme Toutou (vizir à Thèbes). Toutefois, elle est présentée également comme une femme gracieuse et fidèle et passionnée aussi bien par son époux que par sa foi : ainsi sa belle-mère Tiï, Bek et Horemheb la voient-ils.

 

      Sans doute, le fait que ce texte soit une traduction explique-t-il ces faiblesses stylistiques. La structure en tables gigognes est de surcroît alourdie par les nombreux discours qui s’enchevêtrent : pour ne prendre qu’un exemple rappelons que le narrateur, Méri Moun, relate sa rencontre avec Aÿ qui rappelle sa discussion avec Akhénaton, lequel à son tour raconte telle quelle sa discussion avec son père Aménophis III, et ce bien sûr avec des allers-retours d’un discours à l’autre. Précisons que la confusion et la lourdeur viennent peut-être de ce que ces discours se font tous à la première personne.

 
   

      Par ailleurs, on reconnaît à ce roman la volonté de peindre une fresque historique mais la brièveté de l’œuvre et le foisonnement des événements et des personnages ne parviennent que difficilement à créer chez le lecteur le sentiment qu’il se trouve devant un tableau vivant et grandiose. Bien sûr, la structure évoquée plus haut traduit intelligemment l’entremêlement des différents intérêts politiques et religieux mais l’on regrette que les personnages soient présentés de manière rapide –même si les portraits s’enrichissent d’une narration à l’autre-,  et que les événements connaissent un traitement liminaire : « la mort nous menaça de toutes parts » […] « les drames se succédèrent » (page 72 et page 89 en édition Folio). L’absence de détails et de concret rendent les propos trop vagues pour soutenir l’attention du lecteur bien longtemps.

 

 
 

      Enfin, on attend que Néfertiti prenne à son tour la parole : on sait assez tôt dans le récit qu’elle est toujours vivante et recluse. Ceci justifie que Méri Moun aille la voir comme les autres personnages dont le prêtre d’Amon et Aÿ lui ont parlé dès le début. Il est dommage que la place qu’occupe le récit fait par Néfertiti oriente démesurément l’interprétation que le lecteur pourrait tirer du récit : non seulement la partie qui y est consacrée occupe un place prépondérante dans le récit puisqu’elle fait le double voire le triple des autres, mais elle est aussi située en fin de récit ce qui tend à lui conférer un rôle de conclusion. Ainsi, les propos de ce personnage acquièrent plus de crédibilité que ceux des précédents et le lecteur se sent un peu forcé d’y croire davantage.

 
 

  A écouter : absolument ! Dead Can Dance, The Ubiquitous Mr Lovegrove

 

 

Edition Folio - traduction de France Meyer 

 Si vous voulez en savoir plus sur Akhénaton : http://www.osirisnet.net/docu/akhenat/akhen1.htm

  Si vous voulez en savoir plus sur Naguib Mahfouz : http://fr.wikipedia.org/wiki/Naguib_Mahfouz

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